14-07-2025
Blâmer le Canada, vous êtes sérieux, là ?
La fumée des incendies de forêt, qui affecte la qualité de l'air de plusieurs villes américaines, a fait réagir plusieurs élus républicains qui ont interpellé l'ambassade du Canada à Washington.
Blâmer le Canada, vous êtes sérieux, là ?
Quel travail ingrat que celui d'employé de l'ambassade du Canada à Washington ! Le président des États-Unis est en guerre contre votre pays. Il est imprévisible. Et colérique. Et vous, en toutes circonstances, vous devez garder votre calme. Ne jamais dire un mot plus haut que l'autre. Demeurer courtois même quand on cherche à vous humilier.
Un peu comme si, dans la cour d'école, un fier-à-bras vous crachait au visage chaque jour sans que vous puissiez réagir autrement qu'en souriant.
J'y pensais la semaine dernière en voyant la réponse d'une politesse hallucinante de l'ambassade du Canada en réplique à une lettre délirante d'élus américains.
PHOTO JESSE WINTER, ARCHIVES REUTERS
Le secteur de Squamish, en Colombie-Britannique, a été durement touché par les incendies.
Dans cette lettre expédiée à l'ambassadrice canadienne Kirsten Hillman, une demi-douzaine de républicains se plaignent de la fumée des incendies de forêt au Canada et exigent que le gouvernement y remédie.
« Je peux vous assurer que le Canada prend très au sérieux la prévention, la lutte et l'atténuation des incendies de forêt. Je peux confirmer que la lettre a été reçue par l'ambassade et transmise aux organismes canadiens concernés. Nous y répondrons en temps opportun », a affirmé une porte-parole de l'ambassade du Canada à Washington à mon collègue Éric-Pierre Champagne1.
PHOTO MIKE DEAL, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE
Les incendies de forêt ont décimé des zones situées dans le nord du Manitoba.
Notez bien que je ne critique pas la teneur de cette réponse.
Avec Donald Trump à la Maison-Blanche, si vous n'êtes pas assez poli, Dieu sait quelle nouvelle menace il va brandir contre votre pays !
Mais le délire des élus républicains appelle une autre réponse. Moins diplomate, celle-là.
Vous me permettrez donc, comme je ne suis pas ambassadeur, de dénoncer la bêtise de cette sortie publique sans mettre de gants. Et d'expliquer qu'il s'agit d'une véritable insulte à l'intelligence.
Comment qualifier autrement une lettre qui blâme le Canada, mais ne contient pas un mot sur les changements climatiques ?
Il existe depuis longtemps un consensus scientifique sur le fait qu'il y a davantage de catastrophes naturelles (y compris des incendies de forêt) et que leur intensité va en augmentant en raison des changements climatiques.
Mais Peter Stauber, un élu du Minnesota qui a signé la lettre en question, a plutôt dit vouloir « exhorter le Canada à améliorer sa gestion forestière ».
« Nos communautés ne doivent pas supporter le coût de leur négligence », a-t-il ajouté.
Négligence ! Vous êtes sérieux, là ?
Très chers élus républicains, préoccupés par les feux, votre lettre relève de l'aveuglement volontaire.
Vos citoyens sont incommodés par la fumée des incendies qui ravagent notre pays, ça se comprend. Et sachez qu'on fait toujours tout ce qui est en notre pouvoir, de ce côté-ci de la frontière, pour prévenir les feux et lutter contre ceux qui font déjà rage.
PHOTO HEATHER KHALIFA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
La fumée des incendies de forêt a affecté la qualité de l'air de plusieurs villes américaines, dont New York.
Que diriez-vous, pour votre part, de vous regarder dans le miroir ?
Sur le plan des émissions de gaz à effet de serre par habitant, votre pays se classe au premier rang. Et lorsqu'on calcule les émissions totales, il est deuxième, derrière la Chine (un pays de plus de 1,4 milliard d'habitants).
Alors ce que vous faites, en blâmant le Canada, c'est un peu comme si quelqu'un décidait de vider ses poubelles, à longueur d'année, dans la cour de son voisin, pour ensuite se plaindre avec arrogance d'une odeur intolérable qui provient de chez lui. Et, ensuite, exiger qu'il règle ce problème.
Vous êtes des politiciens. Vous devez rendre des comptes à vos citoyens. Mais vous avez un fâcheux problème, car vous niez le phénomène qui fait empirer la situation.
Votre sortie publique est un effort désespéré pour prouver que vous tenez compte des critiques de ceux qui ont voté pour vous (et qui, espérez-vous, vont continuer à le faire) et les convaincre que vous faites des gestes décisifs.
Mais c'est le contraire qui est vrai.
Non seulement les républicains au pouvoir à Washington font partie de la minorité de climatosceptiques aux États-Unis, mais ils se démènent également avec plus d'ardeur que jamais pour freiner la lutte contre les changements climatiques.
En mars dernier, le New York Times résumait ainsi ce qui est en train de se passer à Washington :
« En quelques semaines, le président Trump a gravement endommagé la capacité du gouvernement à lutter contre les changements climatiques, bouleversant la politique environnementale américaine par des mesures qui pourraient avoir des conséquences durables pour le pays et la planète. Avec une série d'actions qui ont repoussé les limites du pouvoir présidentiel, M. Trump a vidé de leur substance les efforts fédéraux en matière de climat, annulé les réglementations visant à limiter la pollution et donné un coup de pouce majeur à l'industrie des combustibles fossiles.2 »
Ça s'est poursuivi depuis. Et ça ne semble pas vouloir s'arrêter.
Tenez, on apprenait cette semaine que le département américain de l'Énergie vient de recruter trois (rares) scientifiques américains climatosceptiques3.
Dans ce contexte, la feinte indignation des élus américains qui blâment le Canada leur donne simplement l'air de mauvais acteurs qui jouent dans un navet.
J'ajoute qu'elle est particulièrement indécente au moment où des milliers de personnes, de ce côté-ci de la frontière, doivent être évacuées en raison des feux.
Je n'imagine pas nos élus critiquer les politiciens américains la prochaine fois qu'un des États sera frappé par des incendies dévastateurs et que la fumée se rendra jusqu'au Canada.
J'ose croire qu'ils ont trop de respect pour nos voisins pour faire ça.
Voilà !
Si les diplomates de l'ambassade du Canada n'avaient pas à faire preuve de diplomatie, c'est probablement ce qu'ils répondraient aux élus républicains.
Et peut-être aussi qu'ils citeraient, en terminant, les mots d'un des grands présidents que le Parti républicain a donnés aux États-Unis, Abraham Lincoln.
« Vous pouvez tromper quelques personnes tout le temps. Vous pouvez tromper tout le monde un certain temps. Mais vous ne pouvez pas tromper tout le monde tout le temps. »
1. Lisez le texte « Des élus républicains se plaignent de la fumée canadienne »
2. Lisez le texte « 'Full on Fight Club' : How Trump Is Crushing U.S. Climate Policy » du New York Times (en anglais ; abonnement requis)
3. Lisez le texte « Trump Hires Scientists Who Doubt the Consensus on Climate Change » du New York Times (en anglais ; abonnement requis)
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